On associe souvent Giovanni Verga à Émile Zola, en mettant en relief le lien entre Naturalisme et Vérisme, les deux écoles littéraires dont les deux auteurs sont généralement considérés les chefs de file, la seconde étant la version italienne de la première. Ces deux auteurs refusent toutefois une quelconque simplification. Zola: «Les écoles ont été faites pour la médiocrité. Il est bon qu’il y ait des règles pour ceux qui n’ont pas la force de l’audace et de la liberté1».
Verga: «Ho cercato sempre di essere vero, senza essere né realista, né idealista, né romantico, né altro [...]2».
Je me propose alors de comparer directement les deux auteurs, qui ont su décrire dans leurs œuvres, nouvelles et romans, les réalités historiques, politiques, sociales du dernier quart du XIXe siècle3.
Par une coïncidence curieuse, Zola et Verga naissent la même année, en 1848, et cessent leur activité presque en même temps: Zola meurt en 1902 à cause du dysfonctionnement d'une chaudière; Verga épuise sa veine créatrice dans les années 1890. Rentré en 1892 à Catane, il meurt en 1922, sans avoir complété son cycle I Vinti4.

Émile Zola, à cause de la mort de son père, abandonne ses études et, pour subvenir aux besoins de sa mère, doit trouver un emploi. Il commence comme attaché de presse auprès de l’éditeur Hachette, puis il devient journaliste, critique littéraire et d’art. Son rêve est de devenir écrivain. Républicain convaincu, il est fortement hostile au Second Empire de Napoléon III (1852-1870) qui constitue le contexte historique de son cycle Les Rougon-Macquart5, qu’il entame, en 1871, après la défaite de Sedan et l’institution de la IIIe République6. Écrire pour lui, c’est prendre position, s’engager. Ce qui explique que, au sommet de sa carrière littéraire, il prend parti pour le Capitaine Alfred Dreyfus, accusé injustement parce que juif, de haute trahison et condamné à perpétuité à l’Île du Diable, en Guyane. Conscient des conséquences de son attaque aux institutions militaires et politiques, Zola publie dans l’Aurore le fameux article, J’accuse7. Au procès pour diffamation porté contre lui, il est condamné à un an de prison et 3000 francs d’amende8.

Giovanni Verga vient d’une famille sicilienne aisée, d'origine noble, mais favorable aux idées du Risorgimento, le mouvement patriotique qui lutte pour l’indépendance de l’Italie. Inscrit à l’Université de Catane, en Sicile, il abandonne les études de droit, préférant l’activité littéraire. Il collabore comme journaliste avec des journaux mineurs, où il publie ses premières œuvres. À 25 ans il passe à Florence, alors la capitale d’Italie, où il fait la connaissance de Luigi Capuana, théoricien du Vérisme et de l’impersonnalité, qui aura une influence directe sur son écriture. Trois ans après il arrive à Milan, où il va vivre 25 ans, fréquentant les milieux littéraires alors en vogue et ouverts aux influences venant de la France.

Verga et Zola ont en commun l’intérêt pour la réalité et la société de leur temps, même si elles sont complètement différentes.
Celle de Zola est en pleine évolution politique, sociale, technologique, humaine. Inspiré par les théories scientifiques, philosophiques, sociales alors dominantes, il opte pour le roman expérimental, qu’il expose dans l’essai homonyme9, où il affirme que «le romancier est fait d’un observateur et d’un expérimentateur». Homme de son temps, il a une confiance absolue dans la science qui, à son avis, peut résoudre n’importe quel problème. C’est pourquoi il pense que le roman naturaliste «est une expérience véritable que le romancier fait sur l’homme, en s’aidant de l’observation».
Il se propose, en racontant la vie des deux branches d’une famille, les Rougon-Macquart, dans une période bien précise, le Second Empire, de relever l’influence du milieu sur les personnages aussi bien que les effets dévastateurs de l’hérédité.
Sur le plan du style, malgré qu’il affirme «je dis ce que vois, je verbalise simplement», la voix du narrateur est toujours présente, évoquant sa pensée et son code de comportement. Le point de vue n’est jamais interne à l’histoire, mais il se situe hors d’elle. Le langage même n’appartient pas aux personnages, mais au narrateur.

Ce qui compte pour Verga c’est raconter le vrai, c’est l’observer. Pour ce faire il choisit la réalité rurale arriérée du Sud, avec sa classe de prolétaires composée de paysans et pêcheurs voués sans espoir à une misérable existence d'exploitation : le monde des perdants. Son pessimisme le pousse à refuser les idéologies progressistes et socialistes qui commencent à se propager, ainsi que l’idée de l’écrivain engagé. Contrairement à Zola, il n’a jamais expliqué sa pensée dans un essai. Ce que nous connaissons d’elle nous le déduisons de sa correspondance avec ses amis. Ce pessimisme se traduit dans une technique narrative, où le narrateur s’éclipse pour permettre au lecteur, comme il écrit à Felice Cameroni10, de se mettre «face à face avec le fait nu», comme s’il assistait à son déroulement. C’est pourquoi il n’a pas besoin de présenter ses personnages: leur profil physique et psychologique se dégage de leur comportement, de leurs paroles, de leurs simples gestes.
Quant au langage, il adopte celui des personnages, en appliquant le principe de la régression. Bien qu’il n’utilise pas le dialecte, difficile à comprendre pour les lecteurs, sa langue est tissée d’expressions locales, avec une structure syntaxique simple.
Pour conclure, si on veut comprendre la raison qui pousse encore à rapprocher ces deux écrivains dont les œuvres représentent des mondes si différents, racontés de façon si différente, il faut changer de perspective, en se demandant ce qui les rend aujourd’hui encore actuels. Ce qui vraiment les lie c’est le goût pour le réel ainsi que la volonté et le courage de le représenter. En ce qui concerne Zola, ce n’est pas tellement son ambition scientifique qui nous intéresse, surtout si on pense aux conséquences tragiques qu’ont eues certaines théories au XXe siècle, mais la puissance de son imagination, la créativité qu’il a exprimée en décrivant la dégradation morale, l’injustice dans lesquelles étaient plongées les masses. Quant à Verga, son style, essentiel, sec, presque distant, nous transmet finalement cette connaissance et ce jugement critique que l’auteur entendait éviter. 

Note bibliografiche

1 E. Zola, Correspondance avec Anthony Valabrègue (1864-1867).
2 G. Verga, Lettre à Felice Cameroni, 1875.
3 Dans la préface au roman Germinie Lacerteux (1865), considéré le prototype du Naturalisme, les Frères Goncourt affirment: «Vivant au dix-neuvième siècle, dans un temps de suffrage universel, libéralisme, nous nous sommes demandé si ce qu’on appelle les basses classes n’avaient pas droit au Roman…».
4 Le projet initial comprenait cinq romans, mais finalement parurent seulement les Malavoglia et Mastro Don Gesualdo, La Duchessa di Leyra, restant seulement ébauché.
5 Le cycle se compose de 20 romans écrits de 1871 à 1893.
6 Qui finira avec l’occupation nazie de la France en juin 1940.
7 Quelques jours avant, sur le Figaro, il dénonce l’antisémitisme diffusé dans les milieux antidreyfusards, en le qualifiant de «poison qu’on verse chaque matin au peuple».
8 Encore aujourd’hui n’a pas été exclue l’hypothèse que sa mort soit due à un attentat.
9 E. Zola, Le Roman expérimental, 1880
10 Critique littéraire et journaliste (Milan 1844-1913), c’est à lui qu’on doit la connaissance, dans les milieux littéraires italiens, de Zola avec qui il entretint une correspondance intéressante.